Pour la première partie de cet article, c’est ici : retour sur 2016 et son lot de bonnes surprises
Pour rappel : à travers les jeux vidéo qui ont pu me faire vibrer cette année (ou non), je vous propose de découvrir le potentiel narratif des jeux vidéo, ses mécaniques et l’avenir que laissent présager quelques expérimentations heureuses.
Les tendances du moment
Les raisons de se réjouir ne manquent pas. Les échecs critiques non plus. Je ne m’attarderai pas ici sur la recette du succès ni sur la méthode de développement à suivre pour réussir une bonne alliance entre narration et gameplay (pfiou). Non, avant tout, je vais vous présenter les tendances qui, à mes yeux, émergent dans le paysage vidéo-ludique.
La narration procédurale (ou automatisée)
Houla, les grands mots ! Pas de panique, ce n’est pas une pratique réservée aux spécialistes, bien au contraire. La génération procédurale d’univers, c’est Minecraft par exemple. On lance son jeu, et paf ! La carte du terrain se déploie sous nos yeux, inventée spécialement pour l’occasion, en rien semblable à celle que vous aurez la prochaine fois. Contrairement à des décors de jeu réalisés par un graphiste, la logique de cet univers répond à des règles gravées dans le code, et elle permet une grande liberté pour le joueur. Le principal problème rencontré dans ce genre d’univers appelés Sandbox (ou bac à sable) est la faiblesse de la narration. Du moins, de narration contrôlée ou induite par les choix du game designer. Le joueur reste libre de raconter ses propres histoires, exactement comme avec les legos. Mais puisque tout est possible et que rien n’est imposé, comment le joueur sait-il ce qu’il doit faire ? Quels sont les marqueurs d’un parcours épique ? Comment rythmer le récit ? Quelle personnalité donner aux personnages ? Les questions ne manquent pas.
Je fais partie de cette proportion de joueurs qui a besoin d’une haute densité narrative pour trouver du plaisir dans le jeu. Dans Minecraft, une fois les mécaniques comprises, je m’ennuie, je hère sans but, j’ai besoin qu’on me guide, je décroche. J’ai besoin d’apprendre des choses qui ne soient pas liées au fonctionnement du jeu ou aux possibilités offertes par le gameplay. Je veux des enjeux dramatiques, des personnages marqués, m’inquiéter pour leur devenir, tout simplement. Le problème est de taille : comment intégrer de la narration au milieu d’un ensemble de règles logiques et de mécaniques bien huilées ?
Rimworld répond en partie à ces questions; au contraire de Minecraft les personnages sont au cœur du jeu et leur comportement impact le déroulement d’une partie. Reigns explore aussi des points intéressants en se concentrant sur une narration totalement gérée par du code. Les briques de narrations (ou cartes) ont été créé au préalable et ne changent pas mais l’ordre et la fréquence d’apparition évoluent d’une partie à l’autre. Un jeu comme Left 4 dead qui est pourtant un pur jeu d’action où on tue des zombies donne lui aussi quelques pistes intéressantes en terme de narration.
En effet, le rythme des attaques de zombie a été déterminé pour assurer une expérience de jeu optimale. L’IA repère quand les joueurs se la coulent douce et envoie en conséquence une horde de zombie ou un petit Charger des familles (gros zombie qui défonce tout). Dans tous les cas, on le sent passer et l’adrénaline monte quand il faut pour rendre le jeu palpitant. Ces trois pistes combinées laissent présager des jeux qui s’adaptent complètement aux actions du joueur (ces dernières n’étant dictées que par sa volonté propre) tout en lui proposant une narration dense et rythmée.
Pour résumer : pour donner le pouvoir au joueur et lui offrir une expérience rejouable à l’infini, la génération procédurale est une piste pleine de promesses. Minecraft avait ouvert la voie avec quelques limites regrettables mais d’autres jeux apportent leur lot de solutions. Rimworld met les personnages en équations, Reigns s’attaque à la cohérence de la narration et Left 4 dead apporte du rythme et la promesse d’un récit haletant.
L’alliance entre gameplay et narration
Gros morceau, hein ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi je devine que je vais sacrément me prendre la tête sur cette partie. Déjà, parce qu’il s’agit peu ou prou de ma définition du jeu vidéo parfait, mais en plus parce que chaque jeu possède sa recette très personnelle.
Pour simplifier, disons qu’il existe trois façons d’aborder la question. Celle de Life is strange, celle de Darkest dungeon et celle de Gone home.
A life is strange way of life : le choix narratif
D’autres jeux ont la narration (voir les choix narratifs) au cœur de leur gameplay comme Heavy rain, Stories, the Banner saga, The walking dead, Mass effect, KOTOR, etc. Je les ai tous apprécié mais Life is strange a réussi le tour de force de tisser le gameplay (retour dans le temps), les choix narratifs et les enjeux émotionnels dans une trame générale d’une extrême cohérence. Mon implication en tant que joueuse était totale et, pour moi, c’est parce que les créateurs du jeu ne se sont pas contentés de créer des choix impactant pour le joueur, ils ont mis en prime le gameplay au diapason de ces choix.
Dans Life is strange, les mécaniques de jeu sont au diapason des choix narratifs pour une implication émotionnelle décuplée
Pour résumer :
- Des enjeux narratifs très forts
- Une gameplay simple au service de la narration à choix multiples
- Un ensemble cohérent et immersif
The darkest story of the rogue-like dungeon
Darkest dungeon est un jeu hybride entre le rpg, le jeu de gestion et le rogue-like. Le joueur est au commande d’une troupe d’aventuriers qui a pour mission de plonger dans un donjon, d’affronter des hordes de monstres baveux jusqu’à ce que mort s’en suive. Il faut être stratégique pour emporter les combats, nombreux et difficiles, mais la narration est aussi très présente. Par petites touches, certes, mais je trouve qu’elle fait la force de ce jeu. Déjà, l’inspiration est très ouvertement lovecraftienne. Un manoir, un héritage, une malédiction et la jauge de santé mentale ne laissent aucun doute. L’ambiance visuelle et sonore est à couper au couteau et les relents de désespoirs se ressentent jusque dans le système de jeu qui est sans pitié. L’intérêt de ce jeu est que le gameplay et la narration sont deux entités séparables mais qui dialogue suffisamment pour s’enrichir l’une l’autre.
Dans Darkest dungeon, la mécanique de jeu est au cœur de l’expérience mais tout est fait pour mettre dans l’ambiance
Pour résumer
- Un gameplay solide et de grandes possibilités de jeu
- Une ambiance forte et immersive
- Quelques points de dialogue entre gameplay et narration
Gone home : un livre ouvert
Pour finir, Gone home, A normal lost phone, Deat Esther ou The vanishing of Ethan Carter sont des jeux qui partagent un point commun. Le joueur est laissé seul face à un lieu (oui, je considère un téléphone comme un lieu dans ce cas ^^), libre de l’explorer dans les moindres détails et de lire, ce faisant, le récit offert à leurs yeux. Tous les indices sont là, à lui de les découvrir, de les ordonner, de saisir les perches tendus pour aller jusqu’au bout et découvrir la vérité dont l’heure est venue d’exploser aux yeux de tous. Le rythme est volontairement lent et l’expérience contemplative. On se laisse imprégner de l’atmosphère, on collecte les pièces du puzzle, jusqu’à voir un motif apparaître. Ici, l’exploration et les puzzles sont la mécanique de base et le fin mot de l’histoire est l’objectif à atteindre.
Dans Gone home, le but du jeu est de connaître le fin mot de l’histoire et l’exploration est la mécanique
Pour résumer :
- Un lieu à explorer
- Des puzzles à résoudre pour avancer
- L’histoire comme récompense ultime
Chacun à leur façon, ces jeux explorent les apports de la narration au monde des jeux vidéo. La narration comme note d’intention, la narration comme source d’enrichissement, la narration comme objectif à atteindre.
Des messages émergents
Qu’on en soit conscient ou non, un jeu délivre un message. Par ce qu’il permet au joueur de faire, de penser, d’explorer, par l’univers qu’il lui montre à voir, le game designer dicte un modèle de pensée et d’agir au joueur. Oui, même les free to play de base et les FPS bien bourrins.

Par exemple, un city builder qui ne propose que des centrales à charbon et passe sous silence la pollution engage des mécaniques de consommation non raisonnée. D’un autre côté, un city builder développé par une équipe éduquée sur le sujet pourra proposer des alternatives énergétiques, des jauges plus en accord avec ce que les scientifiques connaissent des ressources et de leurs limites. C’est tout le jeu qui en sera impacté et l’expérience que le joueur en retire.
Dans cette veine, beaucoup de serious game ou de jeux à impact social ont fait leur apparition. Ils traitent de sujet sérieux, comme leur nom l’indique, et amènent le joueur à se poser des questions. Je ne m’étendrai pas sur le sujet (ayant lu des thèses sur le sujet, j’ai peur de m’égarer ^^) mais l’exercice du serious game est difficile. Trop de « serious », pas assez de « game » pour résumer. Dans le cadre professionnel, pourquoi pas, on s’y amusera de toute façon plus qu’en réunion, mais en dehors de ce cadre et de celui de l’école, les succès sont rares. En cause ? L’alliance difficile entre le message à faire passer et les mécaniques de jeu, ces dernières étant accusées de distraire les élèves et les employés de ces questions qui demandent tout leur sérieux.
Avec des exemples comme Life is strange, A normal lost phone ou Papers, please, non seulement les développeurs de jeu montrent qu’ils ont un message à faire passer mais aussi qu’ils croient au pouvoir des jeux vidéo en tant que média. Ils se positionnent en développeurs de jeu éclairés, qui s’attachent à creuser une problématique en se renseignant à son sujet. A ce titre, ils développent des expériences de jeu où le message autant que les mécaniques de jeu ont de l’importance. Dans cette veine, on peut s’attendre à ce que des sujets de plus en plus variés trouvent leur public par le biais des jeux vidéo. D’autant plus que le public des jeux vidéo est très large. Tout le monde, ou presque, joue. Je pense aussi à des publics très difficiles d’accès pour ce qui est des sciences, de l’esprit critique, de la politique.
Le jeu vidéo est un objet culturel. Il est le reflet de notre société autant qu’un moyen d’influence. Alors, pourquoi se priver ? Et surtout : quelles histoires veut-on raconter ?